La mémoire historique retrouvée : visite du Fort de San Cristobal
Voyage au cœur de la Navarre où un important travail de mémoire historique est en cours avec entre autres, la documentation des conditions de détention des républicains espagnols au Fort de San Cristobal.
Le fort San Cristobal : une prison forteresse, un mouroir, un sanatorium pénitencier
Un chemin escarpé sur les hauteurs de Pampelune nous conduit à un fort laissé à l’abandon depuis 1991.
Nous sommes accueillis par Olga ALCEGA, la sémillante présidente de AFFNA 36, association de descendants et fusillés de Navarre qui a tant fait pour l’ouverture des fosses communes à travers son association et en impliquant les pouvoirs publics dans sa région.
Le fort est très grand. Il fut construit à la fin de la troisième guerre carliste en 1878. L’objectif qui motivait sa construction était de pouvoir défendre Pampelune et sa vallée et de pouvoir tenir un long siège. Il fallut 41 ans pour élever cet édifice de trois niveaux creusés dans la roche.
Il a eu un rôle purement défensif jusqu’en 1934. A partir de cette date il sert d’établissement pénitentiaire pour les rebelles des insurrections d’octobre qui seront pour leur grande majorité amnistiés avec la victoire du Front Populaire en février 1936.
Un centre pour interner les républicains
A partir du soulèvement militaire du 18 juillet 1936, on y interne de nouveau les républicains espagnols dans une région où il faut préciser qu’il n’y eut aucun combat. Et les cimetières des communes environnant le fort commencent à se remplir de cadavres de personnes « libérées » ou « promenées » par les Phalangistes et les soldats Navarrais Carlistes, les Requetés. Puis ce sont les fosses près du fort qui se remplissent, la plupart des suppliciés faisant partie de listes préétablies de personnes qu’il fallait éliminer lors de l’insurrection pour « purifier « l’Espagne » des « rouges ».
Pendant ce temps, la prison commence à se remplir de prisonniers venant de toute l’Espagne, classés par brigades, les hommes jugés les plus dangereux sont confinés dans les cellules souterraines, où l’eau s’infiltre par les soupiraux, dans un froid continuel. Beaucoup meurent de la tuberculose, ou de mauvais traitements.
En visitant cette immense forteresse, on peut prendre conscience de cette atmosphère de confinement et de souffrance. Les murs portent l’empreinte de cette misère, on peut y voir des inscriptions. Le parloir, seul contact possible et rare avec les familles, était composé de deux épaisses grilles distantes l’une de l’autre de plus de un mètre, sans contact physique possible et sous stricte surveillance. Le contraste est frappant avec les locaux relativement cossus des officiers en hauteur et la grande église qui officiait pour des militaires gardiens ou assassins.
Le 22 mai 1938 a lieu une évasion spectaculaire de plus de 700 prisonniers. Les mauvaises conditions climatiques, la nuit noire, la mauvaise connaissance de la région font que seuls trois prisonniers seulement réussissent finalement à passer la frontière. D’autres se rendent, d’autres sont abattus comme des chiens sur les bords des chemins. Les 14 meneurs sont fusillés après un procès expéditif.
El cementerio de las botellas
Le fort devint un « sanatorium pénitentiaire » de 1940 à 1945. On y envoie les prisonniers atteints de tuberculose, maladie particulièrement infectieuse qui faisait des ravages à cette époque. Le manque d’hygiène, de nourriture, de médicaments, les lieux insalubres, causent de nombreux décès.
Il fallait trouver un cimetière où enterrer les prisonniers. En effet, les lieux d’inhumation des villages proches commençaient à être pleins et menaçaient pour certains de s’effondrer.
L’identification des défunts par une bouteille : le rôle de l’aumônier du fort :
Un terrain a donc été choisi et délimité à l’extérieur du fort. Une loi de 1937 en zone rebelle dictait clairement quelles devaient être les conditions d’enterrement en particulier des soldats et prisonniers républicains. Ces derniers devaient être inhumés dans un cercueil et individuellement, avec leur médaille militaire s’il s’agissait de soldats. A défaut de médaille, une bouteille devait être placée à l’intérieur du cercueil, contenant le document identifiant le défunt, avec son nom, son âge, sa profession, sa date de décès. Cette bouteille devait être placée entre les jambes du défunt.
Les inhumations au cimetière du fort eurent lieu en 1942 et ce jusqu’en 1945. Il y en eu 131 au total. Don Pascual, aumônier du fort avait laissé un croquis délimitant et numérotant les tombes. Il documente également un registre précis, le Documento de defunciones.
A noter que cet aumônier a fait preuve d’une grande humanité avec les prisonniers depuis son arrivée en 1938, après la grande « fuga ». Il va tout faire pour améliorer les conditions de vie des hommes, leur fournissant en cachette des vêtements, du papier à écrire et des timbres. Il assiste les prisonniers moribonds. Et c’est lui qui prépare les morts, met les documents en bouteille et identifie leur place dans le cimetière.
La réhabilitation du cimetière et les exhumations : un travail de mémoire exemplaire
A partir de 1945 Le cimetière est laissé à l’abandon et recouvert d’une végétation luxuriante. Dans les années 2000, des familles vont se manifester, demandant à récupérer les restes d’un parent inhumé dans ce cimetière. Une association se fonde, Txiparta, sorte de collectif représentant les familles de victimes de guerres, des historiens, des médecins, archéologues, anthropologues, médecins légistes. L’objectif est de procéder aux exhumations, d’identifier les restes, et de les rendre aux familles. Il a fallu pour cela demander l’autorisation de l’Etat de Navarre ainsi que du ministère de la Défense, propriétaire du terrain.
Le travail d’exhumation : un travail professionnel et scientifique
Ce processus d’exhumation commence en 2007. Il faut débroussailler et nettoyer le terrain de la végétation luxuriante qui la recouvre. Puis le carré est radiographié. On y découvre 131 tombes individuelles. De 2007 à 2011, toutes les tombes sont mises au jour et identifiées grâce à tous les documents exposés plus haut et grâce aux bouteilles. Ces dernières peuvent être en bon état ou cassées, et il en va de même pour le document qu’elles contiennent.
Il s’agit souvent d’hommes mariés, dont la moyenne d’âge est comprise entre 30 et 39 ans. La cause du décès est essentiellement la tuberculose. Des analyses pathologiques menées sur certains squelettes le confirment. Ces dernières ont été menées par un institut dépendant de l’Université du Pays Basque, Biomic’s. Le laboratoire a d’ailleurs gardé les restes exhumés dans le cimetière des Bouteilles jusqu’a remise aux familles.
44 corps sont remis aux familles. Des pères, des oncles, des frères, des fils, qui ont eu le malheur d’être républicains. Les familles sont venues chercher les restes après avoir participé aux travaux de recherche. Des hommages sont rendus aux défunts dans leurs villages avant inhumation dans le caveau de famille.
Notre but est de montrer à quel point le travail de mémoire est important pour les familles des victimes. Il est exemplaire en Navarre et l’exhumation du cimetière des « Bouteilles » le montre particulièrement. Il ne peut s’agit d’un travail d’amateur. De nombreux professionnels volontaires sont nécessaires. Les documents sont également importants : ceux de l’aumônier Pascual, les archives de Navarre, de la municipalité de Pampelune en particulier.
Ce travail est loin d’être terminé. Il existe des centaines de fosses communes en Espagne qu’il faut découvrir et identifier. Le travail de mémoire ne fait que commencer.