Hommage rendu à Joseph Almudever

A l’occasion de l’assemblée générale tenue le 26 février 2022 à Varilhes en Ariège une délégation de Caminar s’est rendue au cimetière de Pamiers où repose notre ami Joseph Almudever, décédé le 23 mai 2021 à l’âge de 101 ans et enterré sans que nous ayons pu l’accompagner en sa dernière demeure, covid oblige.
Une gerbe aux couleurs de la République a été déposée sur sa tombe et un hommage lui a été rendu par David Llamas, président de Caminar dont nous reproduisons ci-dessous le texte.
Sont également intervenus au cours de cet hommage Numen Muñoz, président de l’association mémorielle MRA.ST (Mémoire Résistance Ariège –Solidarité Transfrontalière) et Hugues Vergé, son secrétaire, qui a pendant des années accompagné Joseph lorsqu’il allait témoigner de son parcours aussi bien en France qu’en Espagne.

L’hommage rendu à Joseph Almudever par David Llamas au nom de Caminar

Les mots peuvent tout expliquer, tout dire. Ils peuvent s’approcher de la vérité, si près, qu’ils la révèlent parfois à ceux qui l’ont vécue. Il est aussi des circonstances face auxquelles le champ lexical est démuni pour rendre compte d’une réalité qui excède la perception de ce que nous croyions possible.

La vie de Joseph Almudever est de celles-là. Vivre 101 ans est en soi un exploit. C’est déjà la promesse d’avoir vécu plusieurs vies ; celles de Joseph Almudever furent nombreuses et riches. Vous l’avez rappelé monsieur le maire.

Plusieurs vies, mais un même engagement, fidèle, tenace, résolu.

De sa plus tendre jeunesse jusqu’à ses derniers jours, Joseph Almudever a été un combattant. Il a lutté sans relâche, mu par une conviction profonde, pour la libération de l’homme. Par la parole d’abord, en se faisant le lecteur, pour ses camarades ouvriers, des journaux, et ainsi développer et nourrir leur conscience de classe. C’était sa première arme, ce ne sera pas la seule.

Lorsqu’une partie de l’armée se soulève contre le gouvernement de la République espagnole, il n’a pas encore 17 ans. Qu’importe : il ne doute pas et offre sa jeunesse à la lutte. Paradoxalement, peut-être parce qu’il était resté mince et alerte au cours de ses dernières années, je n’avais pas de mal à l’imaginer jeune.

C’était hier ; la soif de vivre, pleinement, sans entrave, comme un homme libre, lui enjoignait de combattre pour ses idées, si fortement ancrées en lui.
Mais la guerre s’accompagne des horreurs qui altèrent le cœur des hommes et jettent sur leurs regards la brume des blessures de l’âme. Il est des combats qui dépassent les capacités des hommes. Pas pour Joseph Almudever. Jamais il ne renonce, jamais il n’abdique. Lorsqu’après une blessure il est démobilisé, Joseph s’engage dans les Brigades Internationales. Celles-ci sont dissoutes et l’armée de Catalogne s’effondre en janvier 1939 ? Joseph, lui, repart à Valence y poursuivre le combat.

Il fallait alors une sacrée dose de courage ! Il n’a pas encore vingt ans, mais il n’ignore rien, après plus de deux ans de combats, ni de leur âpreté et de la haine viscérale qui sépare les belligérants, ni de la situation militaire désespérée de la République espagnole. Alors que tout un peuple prend le chemin de l’exil, Joseph Almudever, en février 1939, retourne en Espagne. Son engagement est sans limite.

Il le paiera de sa liberté ; il faillit même le payer de sa vie.

Pour les franquistes, sa loyauté envers la République était un crime qui lui valut d’être condamné à mort, à l’âge de 22 ans seulement. Vous rendez-vous compte ? A 22 ans, moi je n’avais pas encore commencé à vivre, lui était déjà condamné à mort !

Imaginait-il alors qu’il serait centenaire ?

Sa condamnation n’a pas été exécutée et sa peine commuée en détention ; il passera quatre ans dans les camps franquistes, dont le sinistre camp d’Albatera. Pour qui n’a vécu ni la faim, ni la guerre, ni la privation de liberté, imaginer la vie de Joseph Almudever est déjà difficile. La simple évocation générique de ces épreuves nous inclinerait à concevoir que quiconque, à la place de Joseph Almudever, et sorti vivant de celles-ci, aurait légitimement pu arrêter le combat.

Pas Joseph Almudever.

Levé avant l’aube…il restera debout bien après le crépuscule, préparant l’aube suivante.  Alors que la guerre était finie en Espagne il a repris la lutte, dans la guérilla antifranquiste.

Malraux a écrit : qu’eut valu une vie pour laquelle il n’eut accepté de mourir ?

Joseph Almudever avait accepté de courir ce risque, pour ses idées et la valeur de sa vie. Elle était si chère et sa liberté d’un prix si élevé, qu’il leur sacrifiait tout. Sa vie en vaut cent. Malgré tous les risques qu’il a pris, condamné à mort à peine sorti de l’adolescence, nous avons failli croire que la mort ne voulait pas de lui.

En voyant, à Toulouse notamment, lors d’un colloque à l’automne 2019, son énergie, son aisance et sa détermination, Joseph Almudever m’a bluffé. Ce qui à mes yeux forge sa légende, il l’évoquait avec une simplicité et un naturel déconcertants. Pourtant quoi de plus normal ?  C’était sa vie.

Face à l’inconcevable, les mots s’effacent vous disais-je ?

Face au jeune homme courageux, résolu, convaincu, qu’il a été, l’homme que je suis et qui a bien plus du double de l’âge que joseph Almudever avait lorsqu’il prit et reprit les armes, est admiratif et profondément impressionné par cet exemple, face auquel je ressens une profonde humilité.

Une profonde humilité et une reconnaissance infinie et attendrie.

En prenant les armes pour la République, Joseph Almudever ne combattait pas uniquement pour sa dignité d’homme ; il défendait aussi les plus faibles, les plus vieux, les plus jeunes, nos mères et nos grands-mères. Il luttait pour les générations suivantes, c’est-à-dire pour nous aussi.

Il n’a jamais cessé de combattre. Joseph Almudever est resté, jusqu’au dernier jour de sa tumultueuse vie un soldat de la République espagnole.

Il a repris sa première arme, celle de la persuasion, en partageant désormais son expérience et en utilisant l’impression qu’elle ne manquait pas de laisser sur nos esprits, pour nous encourager à reprendre le flambeau.

Il gardait une telle énergie qu’il pouvait encore nous en insuffler !

Je ne suis adepte ni de numérologie, ni de pseudo-sciences, mais vivre cent et un ans, ça a quand même de la gueule !

Un peu comme les condamnations prononcées en Espagne, à 30 ans et un jour, ce jour supplémentaire qui confère de l’importance aux années de détention.

Pour lui c’est sa vie qui fut pleine.

¡Salud camarada y descanse en paz, porque es cierto, con tu ejemplo, mañana España será republicana!

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.