Le pacte de San Sebastián, point de rupture de la seconde restauration bourbonienne ?

Un acte fondateur oublié

Qui, à l’heure où sont écrites ces lignes, a entendu parler du Pacto de San Sebastián ? A la vérité, très peu, et pourtant il semble que ce soit l’acte de mise en route d’un processus visant à achever un régime faisant eaux de toutes parts. En effet, le gouvernement provisoire de la IIe République espagnole est l’émanation d’un comité révolutionnaire, lui-même issu de ce fameux pacte signé à San Sebastián.

Les antécédents

A la fin des années vingt, la dictature[1] de Primo de Rivera perd progressivement la confiance des forces qui avaient soutenu son installation en 1923, avec de surcroît l’assentiment royal. Le roi Alphonse XIII est une marionnette mondaine, prisonnière des conservateurs que sont l’Église catholique, l’Armée pléthorique ainsi que la haute bourgeoisie rurale et urbaine. Lorsque le dictateur prend la poudre d’escampette en janvier 1930, il n’y a aucune alternative crédible pour redresser la barre. Dans cette situation catastrophique, aggravée par la crise capitaliste de 1929, un alignement des planètes dans la classe politique espagnole va favoriser un changement de paradigme. Le pays n’a plus de constitution. Il faudrait alors convoquer des Cortes constituantes, c’est-à-dire organiser des élections pour désigner des représentants au Parlement, chargés de rédiger une nouvelle constitution.
Du côté monarchiste, des politiciens se rendent à l’évidence : Le régime ne s’en relèvera pas. Ils imaginent alors une porte de sortie plutôt inhabituelle pour des gens qui vivent sur la bête : la mise en place d’un régime républicain.
Du côté républicain, les partis se reconstituent pour renverser la monarchie.

Les protagonistes

Les monarchistes sans roi

Les deux partis dynastiques, conservateur et libéral, qui se partageaient le pouvoir à tour de rôle grâce à une fraude électorale massive, sont invisibilisés par la dictature de Primo de Rivera. La chute de ce dernier laisse la monarchie sans recours. D’autant que dans ses rangs, il se trouve des intellectuels et des juristes pour réclamer une refondation constitutionnelle. Dans le personnel politique royaliste, deux hommes vont quitter le navire pour créer le Parti Democracia Liberal Republicana à caractère conservateur et républicain :

  • Miguel Maura est un monarchiste de peu d’envergure, frivole, qui navigue dans les milieux monarchistes en compagnie de José Calvo Sotelo et de José María Gil-Robles[2]. Conservateur et catholique, appartenant à une famille qui a peuplé les Cortes et les ministères, il fait quand même parti des déçus de la monarchie à la fin de l’épisode de la dictature ;
  • Niceto Alcalá Zamora est un avocat, député puis ministre monarchiste. Il applaudit des deux mains l’avènement de la dictature de Primo de Rivera. Conservateur catholique, il opère un virage politique lorsque la dictature se retrouve dans l’impasse. Le 13 avril 1930, il tient un discours à Valence dans lequel il se prononce pour une République calquée sur le modèle de la IIIe République française. Elle aurait pour soutien la classe moyenne et les intellectuels.

Les républicains

La Alianza republicana :

Créée sous la dictature de Primo de Rivera, l’Alliance Républicaine regroupe quatre formations allant des républicains historiques aux plus récentes forces républicaines. Il s’agit :

  • Du Parti Républicain Radical, modéré, représenté par Alejandro Lerroux, éloigné de l’anticléricalisme et de l’anti-catalanisme de ses débuts, en 1908 ;
  • Du Parti Républicain Fédéral sans véritable implantation dans le pays ;
  • Du Groupe d’Action Républicain de Manuel Azaña, créé en 1925, il regroupe au sein de l’Ateneo de Madrid des jeunes issus du monde intellectuel et des milieux économiques ;
  • Du Partit Republicà Català, fondé en 1917 par Marcelino Domingo et Lluís Companys, situé à la gauche du courant catalaniste.

A la suite de sa fondation, le 11 février 1926, date anniversaire de la Première République espagnole[3] l’alliance républicaine publie un manifeste appelant à la convocation de Cortes constituantes, élues au suffrage universel, avec pour objectif la proclamation de la République. Ce manifeste reçoit un large soutien de la part des nombreuses organisations républicaines, ainsi que de nombreux intellectuels comme entre autres Vicente Blasco Ibáñez[4], Miguel de Unamuno, Antonio Machado ou Gregorio Marañón.
Pour la première fois, une organisation républicaine est en mesure de fédérer autour d’elle les composantes urbaines de la classe moyenne et les ouvriers.
Des réunions préparatoires ont lieu, comme celle de Paris, entre Eduardo Ortega y Gasset et Francesc Maciá au cours de laquelle le mouvement catalaniste apporte son appui à la conspiration républicaine.

17 août 1930, à San Sebastián

D’abord prévue à l’hôtel Londres, sans aucune préparation sérieuse, la réunion a finalement lieu au Cercle Républicain de San Sebastián. Tous les chefs de file des partis conjurés sons présents, de Niceto Alcalá Zamora, l’ancien monarchiste, à Manuel Azaña, représentant la nouvelle tendance républicaine, en passant par Alejandro Lerroux, tenant de l’ancien républicanisme bourgeois, ou Santiago Casares Quiroga, régionaliste galicien. D’autres personnalités prennent part aux débats à titre personnel tel le socialiste Indalecio Prieto.
D’emblée, la question régionaliste s’avère incontournable, et en particulier l’autonomisme catalan. Auquel s’opposent les anciens monarchistes, agitant le spectre réel ou supposé d’une guerre civile.
Une telle galaxie d’intérêts divergents ne peut se conclure que par un accord a minima : mettre fin à la monarchie[5], résoudre la question catalane, et par extension celle de tous les régionalismes. Le communiqué officieux final ne dit pas autre chose sauf à y ajouter un appel aux autres forces républicaines absentes, comme les socialistes du PSOE, les syndicats, les anarchistes… Le résultat de cette réunion est tellement décevant que les sphères gouvernementales, pourtant tenues au courant, ne réagissent pas.

Le manifeste

En novembre 1930, avant de lancer l’insurrection, les signataires[6] se mettent d’accord sur un texte (voir en annexe) destiné à être publié et qui se contente d’énoncer les grands principes républicains. Le seul fait marquant est un appel à déloger la monarchie. Pour l’instant, il n’y a pas de quoi fouetter un chat.

A ce stade, la réponse à la question introduite dans le titre de cet article ne va pas dans le sens attendu. Les choses vont cependant changer après le soulèvement raté de Jaca. Mais c’est une histoire que nous conterons dans un prochain billet.

ANNEXE

« ¡Españoles!

                Surge de las entrañas sociales un profundo clamor popular que demanda justicia y un impulso que nos mueve a procurarla. Puestas sus esperanzas en la República el pueblo español está ya en medio de la calle.

                Para servirle hemos querido transmitir la demanda por los procedimientos de la ley y se nos ha cerrado el camino; cuando pedimos justicia, se nos arrebató la libertad, cuando hemos pedido libertad se nos ha ofrecido como concesión unas Cortes amañadas como las que fueron barridas, resultante de un sufragio falsificado, convocada  por un Gobierno de dictadura, instrumento de un rey que ha violado la Constitución y realizadas con la colaboración de un caciquismo omnipotente.

                Se trata de salvar un régimen que nos ha conducido al deshonor como Estado, a la impotencia como Nación y a la anarquía como Sociedad.

                Se trata de salvar a una dinastía que parece condenada por el Destino a disolverse en la delicuescencia de todas las miserias fisiológicas.

                Se trata de salvar un rey que cimienta su trono sobre las catástrofes de Cavite y Santiago de Cuba, sobre las osamentas de Monte Arrait y Annual; que ha convertido su cetro en vara de medir y que cotiza el prestigie de su majestad en acciones liberadas.

                No hay atentado que no haya cometido, abuso que no se haya perpetrado, inmoralidad que no haya trascendido a todos los órdenes de la Administración pública para el despilfarro escandaloso.

                Hemos llegado por el despeñadero de esa degradación al pantano de la ignominia presente. Para salvarse y redimirse no le queda al país otro camino que el de la revolución.

            Ni los braceros del campo, ni los propietarios de la tierra, ni los patronos, ni los obreros, ni los capitalistas que trabajan, ni los trabajadores ocupados en la huelga forzosa, ni el productor, ni el contribuyente, ni el industrial, ni el comerciante, ni el profesional, ni el artesano, ni los empleados, ni los militares, ni los eclesiásticos…, nadie siente la interior satisfacción, la tranquilidad de una vida pública jurídicamente ordenada, la seguridad de un patrimonio legítimamente adquirido, la inviolabilidad del hogar sagrado, la plenitud de vivir en el seno de una nación civilizada.»


[1] – Le général Miguel Primo de Rivera prend le pouvoir en organisant un coup d’état en septembre 1923. Le roi Alphonse XIII se range du côté du dictateur. Du coup, la constitution de 1876 est supprimée.

[2] – Ces deux personnages vont jouer un rôle déterminant en faveur des conservateurs dans la seconde période de la IIe République.

[3] – 11 février 1873.

[4] – Il a parrainé l’opération depuis son exil parisien.

[5] – Y compris par une insurrection générale.

[6] – Alejandro Lerroux (Partido Republicano Radical), Manuel Azaña (Acción Republicana), Marcelino Domingo (Partido Radical-Socialista), Álvaro de Albornoz (Partido Radical Socialista), Ángel Galarza (Partido Radical Socialista), Niceto Alcalá Zamora (Derecha Liberal Republicana), Miguel Maura (Derecha Liberal Republicana), Manuel Carrasco Formiguera (Acción Catalana), Matías Mallol Bosch (Acción republicana de Cataluña), Jaume Aiguader (Estat Catalá), Santiago Casares Quiroga (Federación Republicana Gallega).

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