14 avril 1931 – Leur République avec leurs mots

« ¡Viva la Republica! »

Ils ont tous crié « ¡Viva la Republica! » quand le 14 avril 1931, la deuxième République est proclamée en Espagne. Avec leurs mots, ils nous confient leur vécu dans une Espagne dominée par les riches et l’Église. Mais ils disent, aussi, l’espoir et les réalisations que la République a apporté dans leur quotidien.

Nos témoins : Felipa, Isaac, Gabriel, Julio, Florencio, Jaime et Antonio

Tous ont vécu leur exil en Lot-et-Garonne et nous ont parlé de la Niña Bonita. Le 12 avril 1931, les élections municipales donnent la victoire aux Républicains. La République est proclamée le 14 avril 1931 suivant, et la seule réponse du roi Alfonso XIII est comme 90 ans plus tard, son petit-fils Juan Carlos, la fuite pour poursuivre sa vie de dilettante juerguista.

La République arrive par surprise et n’a d’abord aucun hymne officiel. Isaac Casarès reprenait quelques couplets de La Marseillaise en version espagnole qui était alors chantée dans les rues :

Libertad Libertad Libertad
Gritando con fuerza indomable
Forjada por el crisol del dolor
Y alzar frente al redentor
Nuestra gran bandera indomable
Amada libertad, razón de nuestro ser
Luchar, querer y no dejar
Quien la ose encadenar
(bis).”

Lorsque la République arrive, c’est la misère dans ce pays de 24 millions d’habitants. Son développement économique a été empêché par l’aristocratie terrien-ne. L’Espagne garde une structure sociale retardataire dominée par les survivances féodales et appuyée sur une armée parasitaire et une Église héritière de l’inquisition.

Écoutons Gabriel Rivera :

« J’ai connu les hommes avec des sacs en guise de chaussures quand ils allaient travailler la vigne et mon père m’a dit qu’il allait pieds nus jusqu’à l’âge de vingt ans et j’ai vu des personnes ramasser une écorce de melon, la laver et la manger et ça cela me fait encore mal d’y penser. »

Julio Cañadilla ajoutait

« Avec mon père on travaillait à la campagne, on cherchait du bois pour le boulanger, on travaillait la terre. J’ai commencé à huit ans, en fait à 7 ans, mais on m’a payé à partir de huit ans, 5 réales soit une Pésète et demie. A l’école je n’ai été qu’une semaine à l’âge de cinq ans, après j’ai suivi quelques cours du soir chez un particulier. On vivait dans le village et la plupart étaient paysans comme nous tous et vivaient de la terre, car il n’y avait aucune usine là-bas. Il n’y avait que quelques commerces, il y avait juste une usine de farine et quand il y avait les olives certains allaient travailler au moulin. »

Pour Isaac Casarès, son souvenir c’était l’école des curés 

« J’allais à une école de moines et le souvenir que j’en ai c’est surtout le souvenir des puni-tions. Quand on était puni on nous mettait dans une cave, à genoux, et pendant la récréa-tion on restait à genoux. Après je suis allé à l’école publique jusqu’à l’âge de 11 ans. »

C’est dire la joie et l’espoir qui gagnent le peuple espagnol lorsque la République est proclamée.

Florencio Gomez vit dans un village retiré et ne rencontrera la République que plus tard 

« J’étais dans un petit village. On vivait de l’agriculture. Je vivais avec mes parents et mes frères et sœurs. Le 14 avril, il ne s’est rien passé dans mon village, il n’y a pas eu de fête. C’est lorsque je suis parti à Madrid, et que j’ai travaillé là-bas que mes copains m’ont parlé de la République. Il y avait plus de libertés avec la République, il y avait des réunions, pour moi la vie était meilleure. »

Mais pour Julio Cañadilla, c’est l’explosion de joie dans les rues 

« On avait manifesté dans les rues, on était pas mal de gens dans la rue. Tous on avait des drapeaux et vive la République. Il y a eu un maire républicain. Aussitôt qu’il y a eu la République, ils ont pris le balai et ils ont balayé tout, un nouveau maire, y compris il y a eu des changements dans la police. »

Comment sortir l’Espagne de la misère ?

La tâche est rude pour les nouvelles autorités républicaines. 1% de la population possède 51,5 % de la terre. Au recensement de 1929, 20 000 personnes étaient propriétaires de 67 % des terres cultivables. Sur 1 030 000 propriétaires recensés, 845 000 tirent de leur lopin de terre à peine 1 Peseta par jour. En Andalousie, 35 grands propriétaires terriens se partagent plus d’un demi-million d’hectares. Il y a plus de 3 millions de paysans pauvres et 2 millions de jornaleros et ouvriers agricoles.
Les trois quarts de la population vivent en milieu rural et près d’un tiers, soit environ six millions de personnes, est analphabète. Un million d’enfants ne sont pas scolarisés. Et les rares instituteurs publics vivent avec un salaire de misère d’où le refrain populaire : ese tiene más hambre que un maestro de escuela. Enfin la condition ouvrière est déplorable et le chômage endémique.

Et Felipa Garay parlait de la réforme agraire et des logements pour les ouvriers

« La première chose qu’a fait la République, c’est la réforme agraire et il fallait répartir les terres car toute l’Andalousie était pratiquement la propriété du comte de Romanones qui était le premier ministre du roi et faisait des élevages de taureaux. Et les pauvres n’avaient rien et étaient obligés de s’exiler là où il y avait des industries pour pouvoir vivre. Après, ils ont fait beaucoup d’écoles et ils ont construit des maisons pour les ouvriers, mais ils ont été imprévoyants au niveau de l’armée. Et comme les riches ne voulaient rien perdre, cela a facilité le coup d’État. »

Antonio Villar, âgé de 5 ans en 1931, vivait à Torrelavega en Cantabrie et a connu l’école de la République

« Ils avaient fait une école, on avait plus de liberté, je n’ai jamais été dans une école de curés. L’école avait été construite par la République dans un bâtiment nouveau, et tous les enfants y étaient accueillis. Pendant la guerre on s’est retrouvés à Lérida et j’ai été également scolarisé avec un instituteur qui faisait ses cours en castillan et non en catalan. »

Pour Gabriel Rivera c’était la fin de l’analphabétisme 

« Quand la République a été proclamée il y avait une école, c’était le mari et la femme. C’étaient les riches qui allaient à cette école et ils avaient plus d’intérêt à apprendre aux enfants de riches qu’aux pauvres. Quand la République est arrivée, peu de temps après, ont été construites trois écoles, deux pour les garçons et une de filles, et il n’y a plus eu d’analphabète parmi les enfants qui y sont allés. »

Gabriel Rivera a été témoin et acteur de ce qui a changé al campo pour les ouvriers agricoles 

« J’ai vu les hommes aller à la place comme mon père et mon grand-père et ils étaient traités comme du bétail. Là-bas arrivait le patron : « tu veux travailler ?». Et il choisissait qui il voulait. Celui qui était un peu handicapé restait sans travail. Il y avait une grande misère et avec la République et le syndicat, la bolsa del trabajo a été créée. Si sur une exploitation il y avait besoin de 20 ouvriers tout passait par la bourse du travail. Une fois, des ouvriers sont allés chercher leur paye et le patron leur a demandé qui leur avait demandé de travailler, ils ont dit le syndicat et il a répondu vous n’avez qu’à vous faire payer par le syndicat. Ce patron devait plus de 40 000 Pésètes. Alors on y est allé avec un copain du syndicat et sur le trajet on disait que s’il ne payait pas on lui ferait la peau. Il a essayé de nous esquiver en faisant dire qu’il était absent, mais on l’a vu. Il a prétexté que les travaux avaient été commandés par le syndicat. On avait une liste de ce qu’il devait payer, établie par le syndicat, et il a dû payer. »

A lire et écouter ces témoins, nos amis, aujourd’hui hélas disparus, nous comprenons pourquoi lorsque la République fut agressée par des généraux félons soutenus par le fascisme international, ils se levèrent pour la défendre, sacrifiant pour beaucoup leur vie et au prix de l’exil pour d’autres.

Alain Miranda

Une réponse sur “14 avril 1931 – Leur République avec leurs mots”

  1. Bonjour Citoyen(ne)s
    Et CAMARADES ,

    Bien évidemment évoquer le passé afin que les nouvelles générations appréhendent mieux le présent est INDISPENSABLE!
    Mais sur des faits survenus EN FRANCE , qui plus est au coeur de tous ceux qui vécurent et subirent les affres découlant de la RETIRADA : TOULOUSE faire silence !
    Que penser en effet de ce que pas plus MER 47 que bien trop d’autres regroupements de Républicains espagnols ?
    J’évoque ici le « cardage » systématique, depuis 1947 de cet hôpital emblématique et UNIQUE AU MONDE fondé par un quarteron de combattants REPUBLICAINS espagnols : VARSOVIE que le (S)inistre de l’intérieur QUEUILLE, aidé du « boulanger de Muret » AURIOL et de bien trop d’autres REFORMISTES (aussi ANTICOMMUNISTESD et pro USA) débaptisan en le renommant « DUCUING » et évinçant les fondateurs …
    Qu’aujourd’hui le pouvoir actuel « parfait » en finisant le dépeçage !

    Oui pouirquoi ce sidérant silence ?
    D’autant que cette attaque n’est que la partie émérgente des attaques multiples et concertées contre l’oeuvre sociale progressiste mise sur le métier par le très pluraliste
    Conseil National de la Résistance perpétrées par TOUS les gouverenements depuis 1947 !!!

    Y aura-t-il quelqu’un(e) qui voudra bien éclairer ma lanterne ?

    A vous lire, et même, mieux : rencontrer avec mon confraternel salut irrépressiblement… CITOYEN ET ANARCHO-SYNDICALISTE ;

    Lou DESTRABAT en ce mercredi 14 avril 2021 à 8h40.

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