14 avril 1931 – Les femmes et la République

La IIe République par elles et pour elles

Casilda, ma grand-mère no sabía de letras, elle était analphabète et pourtant elle faisait partie des 89 femmes qui à Alcañiz étaient affiliées à la CNT (Confédération Nationale du ). Elle n'était qu'une simple paysanne qui s'est accrochée à cet énorme élan d'espoir qu'a représenté la IIe République, la promesse d'une vie meilleure pour elle et ses enfants.

La société espagnole de l'époque était conservatrice, patriarcale et misogyne

Les femmes ne pouvaient avoir qu'un rôle passif et discriminé, leur place dans la société était celle d'épouse et de mère, toujours dépendante de l'homme, du père ou du mari. Les femmes étaient exclusivement chargées des tâches domestiques et la plupart d'entre elles étaient des ouvrières ou des paysannes.

A partir de la fin de la Première mondiale, le féminisme européen fait son entrée en Espagne.

Les femmes sont peu à peu intégrées dans la vie sociale, intellectuelle et politique du pays. Les jeunes femmes, issues essentiellement de la moyenne bourgeoisie commencent à faire des études et osent même aller à l'université.

À la fin des années 1920, surgit un groupe de femmes audacieuses, des intellectuelles, des artistes de grand talent qui vont rompre avec les normes sociales de l'époque. Ces femmes rejetées des cercles masculins, décident de créer en 1926, à l'image du Lyceum Club de Londres, le Lyceum Club femenino de Madrid, dont le siège était la Casa de las Siete Chimineas. Il s'agit alors de la première organisation culturelle et laïque, créée par et pour les femmes afin de lutter pour l'égalité sociale et pour les droits civils des femmes espagnoles.

Cette association réunissait plus de 500 femmes et comptait sept sections : sociale, musique, arts plastiques et industriels, littérature, sciences, internationale et Amérique latine. Des femmes comme María de Maeztu, Isabel Oyarzábal, Victoria Kent et Zenobia Camprubí ont occupé des postes importants dans la direction de l'institution. Les autres membres remarquables étaient Clara Campoamor, Matilde Huici, María Teresa León, María de la O Lejárraga, Ernestina de Champourcín, Concha Méndez, Maruja Mallo, Elena Fortún, Hildegart Rodríguez et Victorina Durán.

La création du Lyceum Club feminino a déclenché de violentes critiques, de la part de l'Eglise et de la société patriarcale mais aussi de la part d'intellectuels, à titre d'exemple le prix Nobel de littérature Jacinto Benavente avait refusé de participer à une conférence en disant : No puedo dar una conferencia a tontas y a locas.

L'Histoire a « oublié » leur combat pour l'égalité

Ces femmes artistes, intellectuelles qui ont participé à l'effervescence créative des années 1930, étaient proches de leurs camarades de la « Génération de 1927 ». Ainsi, avec Federico García Lorca, Luís Buñuel, Salvador Dalí, Rafael Alberti ou Luis Cernuda elles échangeaient, créaient et participaient à l'émulation artistique de l'Espagne. Aujourd'hui, les spécialistes affirment qu'elles étaient tout aussi compétentes et talentueuses que leurs homologues masculins et pourtant l'histoire les a oubliées. On se souvient surtout de ces femmes grâce à leur surnom las (les sans chapeau) car elles ont osé provoquer la société bien-pensante de l'époque, montrer à tous qu'elles étaient libres, en enlevant leur chapeau pour traverser la place de la Puerta del Sol, en plein cœur de Madrid.

La IIe République les reconnait comme des citoyennes à part entière et les émancipe

Ce sentiment de liberté va s'amplifier avec l'arrivée de la IIe République. La Constitution de 1931 et les nouvelles lois adoptées vont changer radicalement la situation des femmes, elles vont leur donner des droits et les mettre sur un pied d'égalité avec les hommes. Elles obtiennent ainsi le droit de vote, de plus, les droits des femmes sont reconnus dans la famille et dans le mariage (le mariage civil, le droit des femmes d'avoir l'autorité parentale sur les enfants, le crime d'adultère appliqué uniquement aux femmes est aboli et le divorce par consentement mutuel est légalement autorisé).

L' des femmes dans la fonction publique est normalisé, elles accèdent également aux carrières de greffiers, de notaires et peuvent exercer les métiers juridiques, malgré ces avancées elles sont toujours exclues des activités militaires.

L'éducation est aussi une des priorités de la IIe République. Les écoles mixtes sont autorisées, ainsi que l' mixte. Les matières domestiques et religieuses sont abolies. De plus, des cours du soir sont mis en place afin de réduire l'analphabétisme chez les femmes.

Il est important de souligner que les femmes vont aussi prendre part au débat politique et accéder aux Cortes (Parlement), neuf d'entre elles vont être élues députées durant la période de la IIe République : Margarita Nelken, Julia Álvarez, Veneranda García-Blanco, María de la O Lejárraga, et Matilde de la Torre (Parti socialiste), Clara Campoamor et Victoria Kent (Parti Socialiste Radical), Dolores Ibárruri (Parti Communiste), Francisca Bohigas Gavilanes (CEDA (Confédération Espagnole des Droites Autonomes)). Parmi ces femmes politiques, il convient aussi de citer Federica Montseny, ministre de la Santé.

Le coup d'arrêt franquiste

Alors que les femmes espagnoles commencent à profiter de ces changements sans précédents pour la condition de la femme, le “coup d'État” de et la , vont mettre fin à cet élan de progrès, de culture et de liberté. Ces femmes engagées seront pour la plupart contraintes à l'exil et seront oubliées.

Ce qu'il faut garder à l'esprit

La IIe République a permis l'émancipation des femmes espagnoles comme nulle part ailleurs mais la dictature franquiste va à nouveau les enfermer dans un rôle de femmes soumises et dépendantes d'un système patriarcal et misogyne. Il faudra attendre le retour de la démocratie pour que les femmes espagnoles soient de nouveaux intégrées dans la société.

La condition de la femme en Espagne est le résultat d'un processus d'avancées et de régressions. Aujourd'hui, alors que la position de la femme espagnole dans la société semble s'être pérennisée, il convient de rappeler que le combat n'est jamais terminé. L'Espagne doit rester vigilante, face à la montée d'idées d'extrême droite, portées par Vox, qui remettent en question les droits fondamentaux à l'origine du principe d'égalité entre les femmes et les hommes.

Marie-Ange González

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