La culture du complot

Le coup d’Etat, une tradition espagnole

Il est des traditions qui traversent les âges. Le coup d’État militaire en est une en Espagne, qui connut, de Sanjurjo à Tejero, ses adeptes dans chaque génération.

Le coup d’Etat, réponse brutale aux défis démocratiques

Voulant s’inscrire dans cette tradition, des militaires espagnols à la retraite ont échangé sur un réseau social, leur ardent désir de renverser le régime – avec l’aval souhaité du roi – et même pour l’un d’eux, de fusiller plus de la moitié de la population, enfants compris. Ils exprimaient clairement leur nostalgie des méthodes du « caudillo ». L’extrême-droite, ce sont ses caractéristiques, allie la bêtise et la méchanceté ; elle valorise la force brute. Rien d’étonnant dès lors que dans ses sphères, le coup d’Etat soit un classique de l’accession au pouvoir.

Le coup d’Etat, un particularisme anachronique espagnol

Pourtant le principe de réalité a, au moins en apparence, convaincu ses homologues des pays voisins que cette méthode n’était plus viable dans l’Europe du XXI^ème siècle. En Espagne, cette conviction n’est pas partagée par tous les néo-franquistes. A quoi doit-on ce singularisme régional ? L’extrême-droite espagnole serait-elle plus bête que ses homologues européens ? Il est permis d’en douter, leur bêtise paraissant assez uniformément partagée entre elles.

L’impunité issue de la « transition démocratique » favorise la culture du complot

La différence vient d’ailleurs. Et sa source est beaucoup plus inquiétante. L’Espagne n’a pas connu de véritable épuration, méthodique, systématique, du franquisme, ni institutionnelle, ni judiciaire, ni même morale. Le franquisme fut un régime criminel. Il compta de nombreux criminels qui firent des centaines de milliers de victimes. Des millions même, par la privation des libertés. Aucun de ses criminels n’a rendu compte de ses actes. Aucune de ses victimes n’a été indemnisée. Une partie non négligeable de la population, généralement issue des familles ayant profité du système, encouragée par un grand parti de gouvernement, refuse que cette période soit simplement évoquée !

La longue dictature franquiste n’a pas permis aux espagnols compromis avec ce pouvoir de percevoir la réalité des idéologies fascistes

Il n’existe pas en Espagne – contrairement à d’autres pays comme la France ou l’Allemagne – de consensus pour désigner l’extrême-droite européenne comme responsable de la tragédie qui s’est nouée à partir des années 30. Ce consensus est si fort en France que la candidate d’extrême-droite refuse ce qualificatif et tente d’avancer masquée. Son parti se réclame même désormais du gaullisme ! A l’inverse, en Espagne les nostalgiques du franquisme ne se cachent pas. Ils ne craignent pas une réprobation générale du corps social, ni une ostracisation. Ils continueront de s’afficher tant que la droite espagnole n’aura pas clairement, systématiquement, dénoncé, au-delà même de la stupidité abyssale de leur mode de pensée et la médiocrité fétide de celui-ci, son extrême immoralité.

Les messages échangés par ce groupe d’anciens militaires espagnols ne relèvent pas de simples « propos de comptoir ». Ils sont le révélateur d’une faiblesse structurelle de la démocratie espagnole. Elle doit affirmer ses valeurs, les clamer, les enseigner et bien sûr les appliquer. Celles-ci sont incompatibles avec la tolérance de l’exaltation des crimes franquistes. Elles sont tout autant incompatibles avec l’indignité continue faite aux victimes demeurant, depuis des décennies, dans des fosses anonymes.

La consolidation de la démocratie espagnole ne peut se poursuivre qu’avec la récupération de la Mémoire Historique

L’Espagne démocratique ne peut plus longtemps se résoudre à ce que son organisation sociale, comme ses symboles, reposent sur les acquis pour les uns, les pertes pour les autres, des vols et crimes de masse de la dictature. Les immondes messages échangés par ces ex-militaires complotistes ont une vertu : ils nous rappellent que le combat pour la mémoire historique est indissociable de celui pour la démocratie.