Antonio Machado, figure incontournable de l’exil républicain espagnol

Le poète et la République assassinée

Notre ami Serge Barba nous signale la parution du livre d'Antonina Rodrigo et de Jacques Issorel, Antonio Machado. Gardiens de mémoire. Memoria custodiada, FAM, Collioure, 2021. Rappelons que Février 1939 est le point paroxystique de la douleur républicaine espagnole. Ce mois, particulièrement hivernal, voit le poète espagnol Antonio Machado mourir à Collioure le 22. Auparavant, le 6, les autorités françaises ouvrent enfin la frontière des Pyrénées Orientales à des centaines de milliers d'espagnoles et qui attendent depuis des semaines la possibilité de se réfugier en France. Au début du mois de Mars, ce sont plus de 450 000 miliciens de la République et des civils de tous âges, de toutes conditions, dans le plus grand dénuement, qui se retrouvent poussés hors de leur pays par l'idéologie fasciste. C'est ce que l'on appelle La , el destierro (la retraite, l'exil). La suite de l'article vous permet de visualiser des images et des vidéos inédites.

« Antonio Machado. Gardiens de mémoire. Memoria custodiada »

Résumé rédigé par l'éditeur : 

« Antonio Machado meurt à Collioure le 22 février 1939, vingt-sept jours à peine après son arrivée en France dans le flot de l'exode des  (la Retirada). C'est Jacques Baills, le chef de gare, qui le reconnaît à l'hôtel Bougnol-Quintana, où il a été accueilli par Pauline Quintana.
Dans ce livre, préfacé par Serge Barba, Antonina Rodrigo et Jacques Issorel présentent non seulement les femmes et les hommes, espagnols et français, qui veillèrent sur le poète à Collioure, mais aussi celles et ceux qui ont conservé vivante la flamme de sa mémoire jusqu'à nos jours.
L'ouvrage, entièrement bilingue français-espagnol, offre aussi une chronologie détaillée de la vie et de l'œuvre d'Antonio Machado, un choix de 12 de ses poèmes, avec traduction en français de Jacques Issorel, et une abondante bibliographie. Il est illustré par de nombreuses photographies.
Antonio Machado muere en Collioure el 22 de febrero de 1939, apenas veintisiete días después de llegar a Francia con la marea humana de los republicanos españoles (la Retirada). Fue Jacques Baills, jefe de estación, quien lo reconoció en el hotel Bougnol-Quintana, donde lo acogió Pauline Quintana.
En este libro, prologado por Serge Barba, Antonina Rodrigo y Jacques Issorel presentan no solo a las mujeres y hombres, españoles y franceses, que velaron por el poeta en Collioure, sino también a aquellas y aquellos que han conservado viva la llama de su memoria hasta hoy día.
La obra, enteramente bilingüe español-francés, ofrece también una cronología detallada de la vida y obra de Antonio Machado, una selección de sus poemas, con traducción al francés de Jacques Issorel, una abundante bibliografía y está ilustrada por numerosas fotografías
.”

Vous pouvez vous procurer l'ouvrage publié par la Fondation Antonio Machado en utilisant ce PDF :

Le poète « est mort de chagrin et de détérioration physique et morale »

Selon les déclarations de Monique Alonso, à l'origine de la Fondation Antonio Machado de Collioure, faites au journal espagnol Publico à l'occasion du 81e anniversaire de la mort du poète, ce dernier est décédé autant des suites de son affaiblissement physique et moral causées par le dur trajet vers la frontière française que du chagrin provoqué par l'effondrement de la République espagnole.

Mme Alonso soutient que le poète avait en tête de rejoindre l'URSS pour y retrouver ses nièces, les filles de José, son frère, parties en exil, et d'y travailler sur invitation de nombreuses associations d'intellectuels.

Le carnet de José Machado

José et sa femme accompagnent Antonio Machado ainsi que leur vielle mère vers l'exil. Il raconte dans un carnet de notes les difficultés rencontrées sur chemin jusqu'à ce qu'ils atteignent dans la ville frontière de Cerbére, où ils se réfugient à la cantine de la gare.
« Là, le spectacle qui s'offrait aux yeux était dévastateur. Les Espagnols déchus et brisés, sans argent, étaient traités par les serveurs de cet établissement avec un mépris si ignoble et dégoûtant, que la première chose qu'ils demandaient était si nous avions de l'argent pour payer. Sinon, ils n'ont même pas donné un verre d'eau. Cela s'est passé à la cantine. Sur les quais de la gare, c'était encore pire, car ils ont été harcelés par les gendarmes dont le seul souci était de regrouper les gens pour les envoyer vers les camps de concentration, séparant les enfants des pères et les femmes des maris. Et tout cela de la manière la plus barbare et la plus brutale. »
Dans ce carnet qu'il rédige, après son arrivée au Chili, José ajoute que « c'était un vrai miracle que nous ayons pu échapper aux griffes de ces sbires, une véritable honte de l'espèce humaine ». Il raconte qu'ils se sont réfugiés dans un wagon abandonné sur une voie de garage. « C'est ainsi que le poète Antonio Machado et sa mère sont entrés en France, gravement malades et sans un seul franc dans leurs poches, presque nus, comme les enfants de la mer. »
Le lendemain soir, l'espoir renait. « Corpus Barga, l'un des meilleurs amis qui nous ont accompagnés dans l'exode, a réussi à atteindre Perpignan, et est revenu pour nous emmener dans la ville voisine de Collioure.
Le comportement de cette généreuse amie était allé jusqu'à prendre à bras le corps notre pauvre mère et à l'emmener de la gare à la ville par la large rue qui la traversait en se terminant au bord de la mer. Nous les avons suivi à pied jusque là-bas. En suivant ce chemin, nous arrivons à la place principale, où, devant un petit ruisseau, se dresse le petit hôtel Bougnol-Quintana, où nous avons séjourné. »
C'était la nuit du 28 janvier 1939 et ce lieu serait la dernière demeure du poète. Il a reçu, du secrétaire de l'ambassade d'Espagne à Paris, les moyens de faire face aux besoins les plus urgents. « Quelques jours se sont écoulés », ajoute José, « au cours desquels le repos a semblé soulager sa situation cardiaque. Cependant, il a vite compris que la fin de sa vie approchait. En y réfléchissant, il a dit : Quand il n'y a pas d'avenir, parce que l'horizon est fermé à tout espoir, c'est déjà la mort qui vient. »
« Il ne pouvait pas survivre à la perte de l'Espagne, ni surmonter l'angoisse de l'exil. C'était dans cet état d'esprit qu'il vécut à Collioure. Cependant, quelques jours avant sa mort, il m'a dit devant le miroir, alors qu'il essayait en vain de coiffer ses cheveux en désordre : Allons voir la mer. C'était sa première et sa dernière sortie. Nous nous sommes dirigés vers la plage. Là, nous nous sommes assis dans l'un des bateaux posés sur le sable. Le soleil de midi était à peine chaud. C'est ce moment unique où l'on dirait que le corps enfouit son ombre sous les pieds. »
Après un long moment, le poète, désignant l'une des humbles maisons de pêcheurs, dit à son frère : « Qui pourrait vivre derrière une de ces fenêtres, à l'abri de tout souci. ». Puis il se leva péniblement, et en silence, ils retournèrent à l'hôtel. Deux jours avant sa mort, il a écrit une lettre à son cher ami Luis Santullano. Déjà immobile, au lit, la mort l'a frappé dans l'après-midi du 22 février, mercredi des Cendres.
José ajoute : « La nouvelle s'est répandue très rapidement, et à l'aube du lendemain, j'ai reçu une lettre émouvante de l'éminent écrivain français Jean Cassou, demandant en son nom et au nom des écrivains français, que l'inhumation ait lieu à Paris. Mais, infiniment reconnaissant pour cet hommage de la France immortelle, j'ai décliné un tel honneur, car, bien qu'à l'époque j'étais loin de nos autres frères, je pensais interpréter ainsi les sentiments de chacun, en considérant au-dessus de tout le mode de vie simple et austère du poète. Nous préférions donc que son dernier rêve ait lieu dans le simple village de pêcheurs de Collioure. »
José relève que toute la ville s'est jointe aux funérailles, avec son maire en tête. « Mais le plus émouvant, c'est que six miliciens républicains, ont porté sur leurs épaules jusqu'au le cercueil enveloppé du drapeau de la République espagnole. En sachant que pour ce faire, ils ont dû échapper à la surveillance implacable du tristement célèbre château de Collioure. Prison où ils ont été traités avec une incroyable et injuste rigueur. »
Le poète repose dans la tombe de la famille d'une dame, amie intime du propriétaire de l'hôtel. La mère de Antonio Machado, très malade et épuisée, était allongée sur son lit. « Revenant un instant à la réalité, elle me demanda pleine d'angoisse, en regardant le lit laissé vide : que s'est-il passé ? J'ai essayé de lui cacher la . Mais une mère n'est pas dupe et elle a éclaté en sanglots comme une pauvre enfant. Deux jours plus tard, ses beaux yeux doux étaient à jamais obscurcis. »
Quelques jours plus tard, José a trouvé un papier froissé dans le manteau du poète. Il y avait écrit trois annotations au crayon :
– La première reproduit, en anglais, les mots par lesquels commence le célèbre dialogue de Hamlet : « To be or not to be (Être ou ne pas être). »
La seconde ne comportait qu'une seule ligne. Mais on pouvait lire le dernier vers qu'il ait écrit : « Ces jours bleus et ce soleil de l'enfance. »
– Et dans la troisième et dernière, Antonio Machado a reproduit ses propres vers, déjà publiés, dans lesquels il a introduit une correction
« Y te daré mi canción :
Se canta lo que se pierde
con un papagayo verde
que la diga en tu balcón. »
« Et je te donnerai ma chanson :
Est chanté ce qui est perdu
par un perroquet vert
qui la chantera sur ton balcon. »
La correction consistait à dire « je te donnerai » au lieu de « je t'enverrai ma chanson ».

Plaque "Rue Antonio Machado" à Collioure
Plaque “Rue Antonio Machado” à Collioure
Délégation de MER47 devant le lieu où a résidé Antonio Machado à Collioure
Délégation de devant le lieu où a résidé Antonio Machado à Collioure – 15 mai 2011
Gerbe déposée par MER47 sur la tombe du poète Antonio Machado le 15 mai 2011
Gerbe déposée par MER47 sur la tombe du poète Antonio Machado le 15 mai 2011
épitaphe
épitaphe extraite du poème “Retrato” (dernier quatrain) :
Mi infancia son recuerdos de un patio de Sevilla,
y un huerto claro donde madura el limonero;
mi juventud, veinte años en tierras de Castilla;
mi historia, algunos casos que recordar no quiero.

Ni un seductor Mañara, ni un Bradomín he sido ?
ya conocéis mi torpe aliño indumentario?,
más recibí la flecha que me asignó Cupido,
y amé cuanto ellas puedan tener de hospitalario.

Hay en mis venas gotas de sangre jacobina,
pero mi verso brota de manantial sereno;
y, más que un hombre al uso que sabe su doctrina,
soy, en el buen sentido de la palabra, bueno.

Adoro la hermosura, y en la moderna estética
corté las viejas rosas del huerto de Ronsard;
mas no amo los afeites de la actual cosmética,
ni soy un ave de esas del nuevo gay-trinar.

Desdeño las romanzas de los tenores huecos
y el coro de los grillos que cantan a la luna.
A distinguir me paro las voces de los ecos,
y escucho solamente, entre las voces, una.

¿Soy clásico o romántico? No sé. Dejar quisiera
mi verso, como deja el capitán su espada:
famosa por la mano viril que la blandiera,
no por el docto oficio del forjador preciada.

Converso con el hombre que siempre va conmigo ?
quien habla solo espera hablar a Dios un día?;
mi soliloquio es plática con ese buen amigo
que me enseñó el secreto de la filantropía.

Y al cabo, nada os debo; debéisme cuanto he escrito.
A mi trabajo acudo, con mi dinero pago
el traje que me cubre y la mansión que habito,
el pan que me alimenta y el lecho en donde yago.

Y cuando llegue el día del último vïaje,
y esté al partir la nave que nunca ha de tornar,
me encontraréis a bordo ligero de equipaje,
casi desnudo, como los hijos de la mar.
Gerbe déposée par MER47 sur la tombe du poète Antonio Machado le 15 mai 2011
Gerbe déposée par MER47 sur la tombe du poète Antonio Machado le 15 mai 2011
Cercueil du poète
Cercueil du poète – source Publico.es
Cortège funèbre
Cortège funèbre – source Publico.es
Château de Collioure : Un bagne fasciste en France
Le cercueil est porté par 6 miliciens sortis du château de Collioure : Un bagne fasciste en France http://retirada37.com/collioure-un-bagne-fasciste-en-france/http://retirada37.com/collioure-un-bagne-fasciste-en-france/

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