Avec cet article, nous débutons la publication d’une série de billets relatifs à la présence des Républicains espagnols en Lot-et-Garonne.
Le jeudi 11 septembre 2014, dans l’ordre des interventions, Alain MIRANDA, Danielle DARQUIE et Isaac CASARES ont été invités par le Comité ANACR[1. Association Nationale des Anciens Combattants et Amis de la Résistance] de Fumel – Monsempron-Libos à animer une conférence à l’attention de l’association ABBAN[2. Association Béarn-Bigorre-Aragon-Navarre] en visite dans la région fuméloise.
Aujourd’hui, nous commençons par publier l’exposé de Danielle DARQUIE , intitulé » L’arrivée des Espagnols en Lot-et-Garonne et sur le fumélois « .
» Cette immigration se fait en 3 vagues :
- Les premiers Espagnols sont arrivés lors des guerres carlistes qui se sont déroulées en Espagne (1833-1840 ; 1846-1849 ; 1872-1876). Ils sont venus comme journaliers agricoles, ces travailleurs étaient estimés par la population locale.
- La deuxième arrivée se fait dans les années 1920-1930, ce sont des raisons économiques qui poussent les Espagnols à venir travailler en France, les hommes viennent seuls. Dès qu’ils ont un travail stable, ils font venir leur femme et les enfants. En 1921, les Espagnols sont la 3ème nationalité étrangère en France.
- Enfin après la défaite de la République en Espagne, nombreux sont les Espagnols lancés sur les routes[3. La Retirada] qui se présentent aux frontières françaises.
Dans quel secteur vont s’insérer ces populations ?
Les premiers arrivés, dans les années 1830, devenaient journaliers agricoles mais pas seulement. Certains sont parvenus à acheter un lopin de terre et se sont installés.
Ensuite, l’industrie cherche des ouvriers car la première guerre mondiale a créé une véritable hémorragie dans le département. Des recruteurs sont envoyés pour chercher des hommes car à Fumel, en 1933, la société Pont-à-Mousson prend le contrôle de l’usine[4. Pourquoi une usine à Fumel ?] et affiche des ambitions expansionnistes.
La guerre d’Espagne 1936-1939
Les communistes et les socialistes, en France, se déchirent sur l’attitude à observer envers les Républicains espagnols. Les communistes organisent des collectes de vivres, de médicaments, envoient des armes par les filières clandestines.
La population du Lot-et-Garonne se mobilise pour ces collectes.
Le 23 août 1936, une grande réunion a lieu à Fumel.
Elle rassemble 500 personnes, essentiellement des ouvriers de Fumel, Libos… L’un d’entre eux, espagnol, se lève et prend la parole pour annoncer qu’il part, avec une dizaine de camarades, aider les Républicains espagnols pour, déclare-t-il, « défendre le pays contre les criminels fascistes ». Il est applaudi par la salle.
Des enfants espagnols sont accueillis dans les villes et les villages du Lot-et-Garonne.
En février 1937, du Lot-et-Garonne, 100 tonnes de marchandises sont acheminées avec 60 000 francs de collecte destinés aux Républicains espagnols.
Un français, Henri BRIAUD, né à Fumel en 1903, s’est engagé dans les Brigades Internationales[5. Les combattants de la Liberté]. Il est tué en 1938 sur le Front de Madrid.
La seconde guerre mondiale
Le 6 février 1939, le gouvernement français accepte d’accueillir les Républicains espagnols. Ils seront regroupés dans 5 camps[6. Inauguration du mémorial, du camp d’internement, d’Argelès-sur-Mer] proches de la frontière.
De novembre 1939 à juillet 1940, des Républicains espagnols sont recrutés par l’usine de Fumel pour remplacer une partie de la main-d’œuvre nationale, partie sur le front, et pour participer à l’effort de guerre[7. Cas étudié en Dordogne voisine, similaire au cas fumélois]. Parmi ces plus de 500 personnes regroupées en Compagnie de Travailleurs Etrangers figure notre ami Isaac CASARES.
En 1940, un encadrement venu de Lorraine s’installe à Fumel pour travailler à l’usine. Cette dernière est restructurée sur le plan juridique, industriel et social. Des logements[8. Cités ouvrières de Fumel] sont construits pour les ouvriers avec un jardin par le « Foyer Fumélois ». Un barrage est en construction qui permet à un certain nombre d’ouvriers d’échapper au S.T.O.[9. Service du Travail Obligatoire].
L’usine a besoin de main d’œuvre, elle est alors un immense bassin de mixité, beaucoup de langues y sont parlées.
La création du G.T.E.[10. Groupement de Travailleurs Etrangers] 505
Le chef de la gendarmerie de Fumel est angoissé devant l’arrivée de tous ces étrangers, les Espagnols sont politisés. Il demande en 1941 la création, à Fumel, d’un G.T.E. il portera le numéro 505 et est officiel le 15 mai 1941. Tous les étrangers doivent s’y faire inscrire sous peine de poursuites. Le bureau est situé au passage à niveau de Fumel. Les chefs de ce G.T.E. sont COLLET, de 1941 à 1943, puis GATIN. Les employeurs sont tenus de déclarer les étrangers qu’ils font travailler chez eux.
En janvier 1940, l’inspecteur de police JOUANNET dénombre 416 Républicains espagnols sur 1 400 ouvriers à l’usine. Les travailleurs étrangers détachés dans des propriétés agricoles doivent aussi être déclarés au G.T.E. 505 mais ils sont administrés par le G.T.E. 536 de Casseneuil.
Quel est le règlement intérieur de ce G.T.E. ?
Les étrangers inscrits au G.T.E. doivent pouvoir être localisés rapidement. S’ils ont déserté un autre G.T.E., ils ne seront pas poursuivis en s’inscrivant au GTE 505 à condition qu’ils n’aient pas commis de délit.
Tout travailleur étranger qui arrive, s’inscrit au G.T.E. 505, il reçoit une feuille d’incorporation avec laquelle il sollicite son embauche dans une entreprise. Quand il est embauché, il doit aller à la gendarmerie puis à la mairie pour obtenir sa carte d’alimentation.
Si le travailleur ne trouve pas d’emploi ou s’il est renvoyé de son travail, il sera refoulé vers son groupe d’origine ou vers le G.T.E. de Casseneuil (dépôt de personnel pour le département)
Les entreprises ne doivent pas se débaucher du personnel entre elles. Les bulletins de mutation seront remis au G.T.E. puis à la gendarmerie.
Le salaire des travailleurs étrangers ne doit pas être différent de celui des ouvriers français
En matière de discipline, les travailleurs étrangers doivent le respect et l’obéissance à tous leurs chefs et supérieurs en toutes circonstances. Ils doivent exécuter leur tache avec conscience et célérité. Les réclamations doivent être présentées avec correction à leur chef immédiat.
Les entreprises qui logent des travailleurs étrangers sont responsables de l’hygiène et de la salubrité. (eau et WC indispensables)
Les déplacements des travailleurs étrangers sont encadrés. S’ils peuvent circuler librement dans la localité où ils ont leur logement habituel, ils doivent demander une autorisation au chef d’entreprise ou au chef du GTE. pour les autres déplacements. Le travailleur doit faire viser son titre de permission par la gendarmerie de l’endroit où il se rend. Tout départ doit être signalé 24h avant. Le bulletin de paie sera présenté au caissier pour paiement et il apposera le visa de sortie.
Les Espagnols à l’usine de Fumel
Des circulaires sont affichées dans l’usine en français et en espagnol pour rappeler le règlement du G.T.E.
Les Espagnols sont souvent très politisés : en 1942 un comité U.N.E. existe à Fumel.
Il comprenait un dirigeant de la C.N.T., un du P.S.O.E. et un du P.C.E.
La gendarmerie les surveille et épie leurs déplacements.
Un tract en espagnol est retrouvé dans l’usine et apporté à la gendarmerie, mais quand les gendarmes arrivent, le responsable de la diffusion a eu le temps de s’enfuir.
Un Républicain espagnol qui venait de Villeneuve en vélo pour travailler à l’usine a un pneu crevé. Il va déposer son vélo pour le faire réparer chez un marchand de cycles. Dans le guidon, un papier intrigue un jeune apprenti qui le donne à son patron. C’est un tract en espagnol, le patron l’emmène à la gendarmerie. L’ouvrier espagnol sera arrêté.
Un petit nombre d’Espagnols va s’engager dans la Résistance. Certains seront tentés de repartir combattre en Espagne. Un plus grand nombre restera sur place.
En conclusion, l’intégration des Espagnols sera réussie puisque des mariages entre populations d’origine différente auront lieu et que l’ascenseur social va bien fonctionner.
La transmission de la mémoire
Le 4 février 2011 a lieu l’inauguration d’une première plaque à l’usine de Fumel en hommage aux Républicains Espagnols qui ont travaillé dans cet établissement.
Une 2ème plaque sera apposée le 14 avril 2011.
La même année, la municipalité de Fumel a donné le nom d’un Républicains Espagnol, Isaac CASARES, à une rue de la ville.
Les Républicains espagnols dans la Résistance
Engagés dans la Résistance, ils ont enseigné leur connaissances de la « guérilla » aux Résistants.
Dans le groupe « Soleil » de René COUSTELLIER, quand l’école des Cadres s’est installée aux Escaliers à Sauveterre-la-Lémance, les instructeurs étaient d’anciens du groupe CARLOS, ils avaient l’expérience et les qualités requises pour former les jeunes français.
A Montcuq le 17/08/2014, Charles FARRENY, historien, a redonné son identité au lieutenant MOSQUITO qui reposait sous l’anonymat depuis 1944 en ce cimetière. Après de longues recherches, MOSQUITO a été identifié comme Salvador ESTRADA DIMER. Le maire de Montcuq a inauguré la plaque avec le nom, les dates de naissance et décès. Une belle cérémonie avec diverses personnalités a eu lieu. C.FARRENY continue a chercher la famille en Espagne. «
Liste de tous les articles de la catégorie :
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